Posté 24 novembre 2005 - 08:40
Militants anti-racistes poursuivis
Le maire MPF de Saint-Claude a assigné en « diffamation publique » des militants et sympathisants de SOS Racisme et Attac qui l'avaient accusé « d'incitation à la haine raciale ».
LONS-LE-SAUNIER. _ L'avocat de Jean-Louis Millet l'a reconnu lui-même devant le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier, hier soir : les militants anti-racistes avaient parfaitement le droit de qualifier « d'abominables », ou pire, les commentaires faits par le maire MPF de Saint-Claude sur la communauté turque de sa ville, le 1er octobre 2003, dans une lettre adressée par l'élu au ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy. C'était leur liberté, « sympathique » a estimé Me Alexandre Varaut, d'hommes et de femmes engagés.
« Colonisation et trafics »
En revanche, passer du simple commentaire ou de l'opinion à la « qualification juridique », comme ils ont choisi de le faire dans un tract évoquant une « incitation à la haine raciale », revenait à « passer la ligne ». C'est la raison qui a conduit l'élu à poursuivre quatre signataires de ce texte pour « diffamation publique » et à réclamer leur condamnation symbolique.
Qu'ils appartiennent à SOS Racisme tel Patrick Neilz, 49 ans et président de cette association dans le Jura, ou qu'ils en soient sympathisants comme Pierre, 48 ans, Florence, 43 ans, ou encore Marie-Pierre, 32 ans, qu'ils soient ou non membres d'Attac, les prévenus ont du mal à comprendre ce qu'ils font sur le banc des accusés. Le procès qui leur a été intenté constitue, il est vrai, une « première » qui a amené le président national de SOS, Dominique Sopo, à entreprendre le voyage de Lons en compagnie de Samuel Thomas, juriste et vice-président.
Comme dans les audiences de faucheurs d'OGM, l'une de leurs avocates, Me Marie-Lucile Angel, s'étonne que seuls ceux-là aient été poursuivis, alors que le texte a été signé par des centaines de personnes qui ont demandé à être également inculpées. Mais l'enquête, dit-on, a déterminé que les quatre prévenus étaient parmi ses principaux rédacteurs, ce qui justifiait leur renvoi.
Alors, la présidente, Mme Rocco, a relu l'intégralité de ces missives à Nicolas Sarkozy. « Deux, parce que les lettres de plus d'une page ne sont jamais lues » et qu'il valait mieux découper l'argumentaire pour davantage d'impact, a expliqué Jean-Louis Millet, fort de « l'obligation légale » faite aux maires « d'alerter à titre préventif les autorités quand ils constatent des anomalies ». Celles que le premier magistrat de Saint-Claude avait notées sont multiples : la communauté turque, selon lui, avait entrepris la « colonisation » de sa ville, y achetait des maisons « avec des prêts à taux zéro consentis par leur gouvernement » via des mosquées, certains de ses commerces semblaient être des couvertures dissimulant des trafics moins avouables, en matière de drogue notamment.
Censées rester « confidentielles », malgré les destinataires multiples de copies dans sa mairie, ces lettres ont fini sur des sites internet identitaires et d'extrême droite. Et des reproductions ont circulé.
Envoyées par qui ? Jean-Louis Millet aurait aimé le savoir, mais la plainte aussitôt déposée par SOS Racisme a fait flop, après que deux personnes seulement eurent été interrogées.
« Coup médiatique »
A l'inverse, les investigations ont été menées rondement pour identifier et interpeller les « diffamateurs » présumés du maire : pas moins de vingt-huit auditions, comme s'en sont étonnés Dominique Sopo et Samuel Thomas !
A la barre, hier, les militants ont justifié leur « vigilance de citoyens » : c'est à l'issue d'une réunion d'information que l'idée de ce tract a été concrétisée. L'écriture s'est faite à quelques mains, puis elle a été validée par tous les présents. C'est d'abord la « teneur généraliste » des courriers de l'élu qui a choqué. « Il englobait tous les Turcs dans sa critique et parlait au nom de tous ses administrés de Saint-Claude, en notre nom ! », se sont indignés les quatre hommes et femmes poursuivis.
Comme Jean-Louis Millet était à l'époque la tête de liste de Philippe de Villiers aux Européennes dans le Grand Est, que le refus de l'entrée de la Turquie dans l'Union était leur cheval de bataille, SOS est persuadé qu'il s'agissait d'un « coup médiatique », ce dont se défend l'intéressé. « Quand on parle de colonisateurs, ça veut dire qu'il y a des agressés et des agresseurs », a remarqué Patrick Neilz, en apôtre du « vivre ensemble ».
Sa lecture de la lettre est réfutée par Jean-Louis Millet, persuadé d'être victime d'une « opération politique » montée par son prédécesseur à la mairie, Francis Lahaut, communiste. « C'est la première fois, dans ce pays, qu'on demande à des juges de condamner des militants des droits de l'homme et c'est un raciste qui vous le demande », s'est finalement ému Me Dominique Tricaud, pour SOS. « Le pyromane poursuit le pompier... » Le jugement a été mis en délibéré. Il sera rendu le 21 décembre.
Comtois rends toi, nenni ma foi !